Faut-il avoir peur des missiles de Vladimir Poutine ?
Le programme d’investissements nucléaires russes n’est pas nouveau. « Ce que Poutine a annoncé jeudi confirme ce que l’on savait déjà : le bouclier antimissile américain serait incapable de contrer une attaque russe massive », dit Aurel Braun, professeur de sciences politiques à l’Université de Toronto.
Selon l’auteur d’un essai sur les tensions entre la Russie et l’Occident en Arctique, à paraître prochainement, la Russie est en train d’améliorer son arsenal nucléaire, mais pas de le révolutionner.
« Il ne faut pas dramatiser le discours de Poutine, il parle de drones sous-marins depuis 2006 et ils sont toujours en développement », opine Yann Breault, chercheur affilié à l’Observatoire de l’Eurasie de l’UQAM.
En réalité, la Russie fait surtout du rattrapage, fait valoir Michel Fortmann, du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Car l’arsenal russe est totalement obsolète, dit cet expert des questions nucléaires.
« Leur arsenal nucléaire date de l’époque de la guerre froide. Imaginez, ils ont encore des bombardiers à hélices. »
Selon Michel Fortmann, les États-Unis ont pris beaucoup d’avance en cette matière. La Russie n’a commencé son programme de modernisation qu’au début des années 2000. Plus précisément en 2002, quand l’ex-président George W. Bush s’est retiré du Traité sur les missiles antibalistiques.
Et selon les experts, les moyens financiers dont dispose la Russie pour investir dans son armement nucléaire restent limités, en comparaison de ceux de Washington.
Quant aux joujoux ultramodernes que l’on voyait voler vers les États-Unis, lors de la présentation vidéo du président Poutine, « on est plus dans le développement préalable que dans l’opérationnel », croit Michel Fortmann.
À moins de trois semaines de la présidentielle, Vladimir Poutine s’adressait surtout à ses propres électeurs. « Il a voulu les rassurer en montrant que la Russie était capable de résister à d’éventuelles attaques. Il leur a dit : “Je vais restaurer la fierté nationale, nous avons les meilleures technologies au monde, et je suis votre leader indispensable” », explique Aurel Braun.
Même s’il est assuré de remporter le vote présidentiel, en absence d’opposition réelle, Vladimir Poutine cherche à obtenir une majorité massive. « Il voudrait obtenir au moins 70 % de taux de participation et 70 % de votes en sa faveur », note Yann Breault.
Or, selon ce spécialiste de la Russie, les électeurs de Vladimir Poutine sont anxieux face à une possible déstabilisation aux frontières de leur pays. L’éventualité de frappes américaines ou israéliennes contre la Corée du Nord ou l’Iran crée de la nervosité. « Pour eux, la figure de Poutine est la plus rassurante. » Et le président de Russie mise là-dessus pour aller chercher le plus de votes possible.
Bien sûr. Le discours avait aussi un aspect dissuasif, signalent les experts. C’était en partie une réponse à la récente révision de la politique nucléaire de Washington, qui évoque notamment des investissements dans des missiles porteurs d’une petite charge et très ciblés. Ce qu’on appelle en anglais des bunker busters.
Le président Donald Trump a évoqué le recours éventuel à de tels missiles pour freiner les ambitions nucléaires de la Corée du Nord, notamment.
Une stratégie extrêmement périlleuse, qui consisterait à signaler à un ennemi potentiel qu’il a « franchi une ligne rouge et que s’il n’arrête pas, la prochaine étape entraînera son extermination », résume Michel Fortmann.
Cela dit, la présentation de Vladimir Poutine relève surtout d’une « gesticulation stratégique », croient les chercheurs : les Russes veulent montrer qu’ils peuvent contourner les défenses américaines. Ils veulent le montrer aux Occidentaux. Mais aussi, indirectement, à la Chine, acteur militaire de plus en plus important dans un monde multipolaire.
La situation n’est pas non plus totalement rassurante, avertissent les experts. Depuis Hiroshima, les dirigeants des grandes puissances ont respecté le « tabou » nucléaire. « Il y avait une barrière psychologique très sensible qu’aucun dirigeant ne voulait franchir. Ils avaient conscience de la catastrophe incommensurable de l’éventualité du recours à des armes nucléaires en cas de crise », note Michel Fortmann.
Or, le président Trump a évoqué la possibilité de briser ce tabou. « Et ça, c’est effrayant. »
La démonstration de force de Vladimir Poutine peut aussi inciter d’autres pays à se lancer dans une course nucléaire perçue comme un moyen de gagner du respect sur la scène internationale, note Aurel Braun.
Bref, même si les missiles russes ne sont pas à la veille de pleuvoir sur le continent américain, le contexte actuel crée un risque d’escalade inquiétant.